Cher Monsieur Waters,
Je reçois votre courrier électronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionné par la complexité shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en béton. La sienne : être trop malade. La vôtre : être trop bien portant. Fût-ce le contraire, vos étoiles n'auraient pas été aussi contrariées, mais c'est dans la natures des étoiles d'être contrariées. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompé qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas à nos étoiles ; elle en est à nous-mêmes. » Facile à dire lorsqu'on est un noble romain {ou Shakespeare!}, mais nos étoiles ne sont jamais à court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des défaillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolées dorés des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'éclat dans ces mesures que sous la dalle non balayée que le temps barbouille de sa lie. {Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.} Un bien joli poème, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mémoire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il célèbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il était de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothèse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli à l'intérieur de son sarcophage linguistique. {Remarquez que, lorsque nous parlons littérature, nous utilisons le présent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.} On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittés en écrivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. {Avertissement : je ne suis pas le premier à faire cette observation, cf le poème d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolées dorés » qui renferme ce vers héroïque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous »} Je m'éloigne du sujet, mais votre le problème : les morts ne sont visibles que dans l'œil dénué de paupière de la mémoire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de décevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volonté contre la décision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mûrement réfléchie. Elle souhaite vous épargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallée de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit. Bien à vous Peter Van Houten
Je reçois votre courrier électronique en date du 14 avril dernier et suis comme il se doit impressionné par la complexité shakespearienne de votre drame. Chaque personnage dans votre histoire a une harmatia en béton. La sienne : être trop malade. La vôtre : être trop bien portant. Fût-ce le contraire, vos étoiles n'auraient pas été aussi contrariées, mais c'est dans la natures des étoiles d'être contrariées. A ce propos, Shakespeare ne s'est jamais autant trompé qu'en mettant ces mots dans la bouche de Cassius : « La faute, cher Brutus, n'en est pas à nos étoiles ; elle en est à nous-mêmes. » Facile à dire lorsqu'on est un noble romain {ou Shakespeare!}, mais nos étoiles ne sont jamais à court de tort. Puisque nous en sommes au chapitre des défaillances de ce cher vieux William, ce que vous me dites de la jeune Hazel me rappelle le sonnet 55, qui commence, bien entendu ainsi : « Ni le marbre, ni les mausolées dorés des princes ne dureront plus longtemps que ma rime puissante. Vous conserverez plus d'éclat dans ces mesures que sous la dalle non balayée que le temps barbouille de sa lie. {Hors sujet, mais : quel cochon, ce temps ! Il bousille tout le monde.} Un bien joli poème, mais trompeur : nul doute que la rime puissante de Shakespeare nous reste en mémoire, mais que nous rappelons-nous de l'homme qu'il célèbre ? Rien. Nous sommes certains qu'il était de sexe masculin, le reste n'est qu'une hypothèse. Shakespeare nous raconte des clopinettes sur l'homme qu'il a enseveli à l'intérieur de son sarcophage linguistique. {Remarquez que, lorsque nous parlons littérature, nous utilisons le présent. Quand nous parlons d'un mort, nous ne sommes pas aussi gentils.} On ne peut pas immortaliser ceux qui nous ont quittés en écrivant sur eux. La langue enterre, mais ne ressuscite pas. {Avertissement : je ne suis pas le premier à faire cette observation, cf le poème d'Archibald MacLeish « Ni le marbre, ni les mausolées dorés » qui renferme ce vers héroïque : « Vous mourrez et nul ne se souviendra de vous »} Je m'éloigne du sujet, mais votre le problème : les morts ne sont visibles que dans l'œil dénué de paupière de la mémoire. Dieu merci, les vivants conservent l'aptitude de surprendre et de décevoir. Votre Hazel est vivante, Waters, et vous ne pouvez imposer votre volonté contre la décision de quelqu'un d'autre, qui plus est lorsque celle-ci est mûrement réfléchie. Elle souhaite vous épargner de la peine et vous devriez l'accepter. Il se peut que la logique de la jeune Hazel ne vous convainque pas, mais j'ai parcouru cette vallée de larmes plus longtemps que vous, et de mon point de vue, Hazel n'est pas la moins saine d'esprit. Bien à vous Peter Van Houten
( John Green )
[ The Fault in Our Stars ]
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